Jean Pierre Favreau

“Il extrait des images du monde – des blocs de temps et de lieu – comme un écrivain le ferait, lui, un stylo à la main, dans les villes ou dans les déserts, s’acharnant à traquer et à noter, en quelques mots, noir sur blanc, ces fameux “effets de réel” dont les romanciers aiment à nourrir leurs livres. Jean Pierre Favreau n’est ni l’un de ces grands reporters qui risquent leur vie pour nous informer de l’état du monde et de son actualité, ni non plus l’un de ces artistes dont les images en grand format habillent les cimaises des galeries huppées. Sa démarche est plus modeste, moins repérée. Elle ne répond à aucun autre cahier des charges que sa propre nécessité, son propre désir. Elle nous parle aussi du monde, mais à sa manière, intimiste, sans effet de manche, cherchant non pas l’endroit où il faut être, mais l’être de chaque endroit, de chaque lieu, de chaque personne. Son art, s’il parle de notre humanité, regarde le monde avec un souci extrême de la forme, du cadrage : on pourrait voir Jean Pierre Favreau comme un héritier du constructivisme russe doublé d’un grand lecteur de Samuel Beckett, qui traque l’humanité dans son dénuement.

On se doute que l’homme qui a choisi de passer ainsi sa vie à photographier le monde, depuis plus de trente ans, connaît par cœur les pays qu’il a traversés. On imagine qu’il a beaucoup d’histoires et de récits à nous raconter, qu’il a vu des mouvements de foule, qu’il a croisé des conglomérats de solitudes, toutes étanches les unes aux autres, des personnages, des singularités. À travers ces mouvements multiples, au milieu du désordre et de la vibration brouillonne de la vie, ce que Jean Pierre Favreau a peut être rapporté, c’est l’image d’un lieu où toute cette fièvre intranquille et bouleversante semble s’effacer et s’annuler : un instant d’oubli. C’est le temps pour un homme de disparaître derrière le nuage de fumée d’un cigare ou d’une cigarette, pour le visage d’un vieille femme, assise dans une cafétéria aussi antique qu’elle, de rejoindre des pensées qui reviennent d’on ne sait quelle éternité lointaine et perdue.

(…) Jean Pierre Favreau nous offre un tour du monde, un tour de l’humanité, à la fois toujours différente et pourtant semblable, avec ce regard absenté de lui-même qu’on reconnaîtra comme étant aussi le nôtre, aves ses failles, ses béances, sa fragilité et sa force – et cette certitude aussi de reconnaître là, l’ouverture d’un espace intérieur aussi profond et insondable que ce qu’on appelle, à l’aide ce vieux cliché pourtant très beau et rigoureusement exact, la nuit des temps.”

Laurent Mauvignier (extraits)

jpfavreau.com

 
 

IMAGES DE L’AUTEUR UTILISÉES POUR L’EXPOSITION “SKHOLE”